Il y a bientôt 13 ans sortait dans nos salles obscures Tron : Legacy, la suite du premier opus datant de 1982. Produit par Disney, en pleine période de crise identitaire et à la recherche d’un segment « adulte » dans ses productions (Tomorowland, John Carter…), à grand renfort d’effets spéciaux générés par ordinateur, Tron : Legacy a divisé les critiques, qui ont rapidement pointé du doigt un scénario blafard, un acteur principal transparent et des personnages trop peu développés, mais aussi et surtout sa bande son à couper le souffle, signée Daft Punk.
Le groupe possédait déjà à l’époque une certaine expérience dans la réalisation de bande-son, Thomas Bangalter ayant notamment déjà produit les sonorités angoissantes du fracassant Irréversible de Gaspard Noé, en 2002. Leur identité visuelle, leur obsession pour la modernité, l’intelligence artificielle ou la robotisation, mais aussi leur passion pour le film originel de 1982… beaucoup trop les désignait d’avance comme le groupe à contacter pour concevoir la musique de ce film. Le travail sur la bande son se fait très en amont, dès 2007, alors que le film est encore en production, permettant au groupe de disposer d’une grande autonomie dans la mise au point de leurs morceaux, mais aussi de collaborer en profondeur avec le réalisateur, qui ira jusqu’à inclure les Daft Punk en caméo dans une scène du film se déroulant dans une boite de nuit.
D’un point de vue musical, la bande son peut paraître blafarde comparée à la vitalité débridée de leurs trois premiers albums et à la claque de Random Access Memory, dévoilé trois ans plus tard, mais se distingue par l’unicité et la continuité de ces morceaux, aux samples très proches, et à son ton, qui s’aventure bien davantage vers des atmosphères plus sombres, lugubres et planantes que le reste de la discographie des Daft Punk. L’album a été réalisé avec le soutien d’un orchestre complet à Londres, ce qui donne à la bande son identité spécifique de mélange entre musique orchestrale et électro. Malheureusement, le groupe a peu profité des possibilités apportées par l’alliance des deux.
Les morceaux sont ainsi soit principalement le résultat d’un travail au synthétiseur (« Son of Flynn », « End of Line », « Derezzed », « End Titles »), soit marqués par des sonorités symphoniques (« Outlands », « Nocturne ») reflétant peut-être également la division du travail entre Bangalter, porté sur les morceaux homériques, et Homen-Christo, qui s’est davantage aventuré dans les recoins sombres du film. Et c’est bien dommage, car lorsque les deux aspects fusionnent enfin, notamment lors de « The Game has Changed » ou « Fall », se dévoilent des morceaux percutants et surprenant, incroyablement bien intégrés au film mais aussi parfaitement capable de frapper les oreilles sans le soutien des yeux. En fait, on en vient à questionner l’utilité de l’orchestre, les morceaux réalisés majoritairement au synthétiseur s’imposant facilement comme les plus amusants, originaux et frappants de l’album.
Musicalement, c’est rageant, tant on sent qu’il pourrait y avoir tellement plus -et tellement mieux- qu’un sample principal (donné par « The Grid ») décliné en autant de versions avec le soutien hésitant d’un orchestre de 85 personnes qui ne semble par trouver sa place entre nos deux géants de l’électro. Mais c’est surtout cinématographiquement que le bât blesse.
En privilégiant la forme, par une débauche d’effets spéciaux, une esthétique absolue, un son travaillé et une bande son parfaitement adaptée, par rapport au fond, Tron : Legacy se présente comme le prototype de ces grandes productions à décérébrées pseudo-ironique misant tout sur le spectaculaire qui ont envahi nos cinémas au cours des dix dernières années. Davantage qu’un film, on a l’impression de se trouver devant un clip vidéo des Daft Punk, 2h d’images léchées parfaitement en rythme avec des samples électro-orchestrales envoutantes et percutantes. Et les Daft Punk ont malheureusement contribué à cette tendance délétère en démontrant aux grands producteurs qu’une bande son savamment orchestrée associées à des images spectaculaires pouvaient détourner le spectateur de la médiocrité d’un film. Le deuxième opus de la saga Tron est pourtant devenu un film culte, qui a marqué sa génération autant que son prédécesseur. Mais on est en droit de se demander s’il l’est devenu pour les bonnes raisons.
Note : La bande son de Tron : Legacy, a eu droit à son album de remix, Tron : Legacy, Reconfigured, dans lequel des grands noms de l’électro parmi lesquels The Glitch Mob, Moby, M83, Avicii s’essayent avec plus ou moins de succès à la réinvention des morceaux de l’album à l’aune de leurs propres idiosyncrasies. Ce n’est pas une grande réussite, même si certains morceaux ressortent.
Comentários