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Robert Jonhson, le Blues et le diable à la croisée des chemins : naissance d’un mythe musical



Peu d’artistes sont aussi nimbés de mystère que «le meilleur guitariste de l’Histoire », comme l’appelle Eric Clapton.

Robert Johnson fait partie de ces musiciens que les décennies ont métamorphosé en être mythique, en personnage de légende. De l’existence réelle de cet homme, considéré comme l’un des pères du blues, ne subsiste qu’un enchevêtrement hétéroclite de faits avérés et de rumeurs suspectes. Près d’un siècle après sa mort, il semble que la fiction ait insidieusement pris le pas sur la réalité : qui peut prétendre aujourd’hui savoir qui était véritablement Robert Jonhson ? L’Histoire (ou plutôt la légende) le retiendra avant tout comme celui qui a pactisé avec le diable pour s’adonner corps et âme à la musique. La Nordisque vous propose aujourd’hui d’aller à la découverte de l’une des figures les plus intrigantes du Blues.


C’est dans les Etats-Unis du début du XXème siècle, placés sous le signe de la ségrégation et portant encore les stigmates de la guerre de Sécession, que naît Robert Johnson. Fils d’une relation adultérine, il grandit sans père, au sein d’une communauté afro-américaine d’ouvriers itinérants, voyageant d’une ferme à l’autre dans le delta du Mississipi.

Le jeune Robert s’éprend très tôt de la musique : à 7 ans, il écoute déjà assidument la radio et s’essaye à la guimbarde ou à l’harmonica. La récolte dans les champs de coton l’exaspère, et il n’est pas rare de le voir se confectionner des instruments de fortune au lieu de travailler, s’attirant sans cesse les réprimandes de ses proches et des fermiers.

Dès l’adolescence, la guitare devient son instrument de prédilection. Il échappe à son quotidien de travailleur pour vagabonder de ville en ville, muni de sa fidèle 6 cordes. Mais à seulement 17 ans, alors qu’il épouse Virginia Travis, l’amour manque de le faire renoncer à la musique. Sa jeune épouse lui fait promettre de reléguer la guitare au placard. Et pour cause ! A l’époque, les bluesmen qui écument le delta pour quelques dollars pâtissent d’une réputation trouble auprès de la communauté noire, pétrie de religion : le blues, descendant pourtant du gospel chanté dans les églises, est inextricablement lié aux pêcheurs, à ceux qui se détournent de Dieu pour s’adonner au vice. Afin d’obtenir la main de Virginia auprès de ses parents dévots, Robert n’a d’autre choix que de tourner le dos à son obsession musicale.


Le renoncement est de courte durée. Quelques mois plus tard, alors que le jeune homme perd son enfant et son épouse en couches, sa souffrance ne peut trouver d’apaisement que dans les plaintes lénifiantes du blues, genre par excellence de la lamentation. Veuf avant vingt ans, il reprend la guitare et la route, arpentant les bars et multipliant les concerts.


Robert développe peu à peu une fascination pour un grand nom du delta blues, Son House. Celui-ci, fatigué par les demandes insistantes et suppliantes de Robert, accepte qu’il l’accompagne en concert. Mais alors que l’apprenti bluesman monte sur scène avec son idole pour la première fois, les huées et les brimades couvrent le son de son instrument. On menace de lui casser la guitare et la figure, s’il n’arrête pas immédiatement de faire un raffut pareil ! Robert doit se rendre à l’évidence : il est mauvais musicien, le blues qu’il aime tant est ingrat. Blessé dans son orgueil, il quitte la ville sans dire un mot.


Les mois ont passé, Robert franchit à nouveau la porte du bar. Quand il demande à jouer, on le chahute et l’insulte. Tout le monde se souvient de son vacarme ! Et pourtant… Quelques minutes suffisent à faire taire les railleries. La salle demeure ébahie, comme envoûtée par la performance du jeune homme. Jamais auparavant n’a-t-on entendu quelqu’un jouer avec une telle intensité, avec une telle dextérité, une telle originalité : c’est comme si sa guitare était un orchestre à elle seule ! Ces accords ! Ces mélodies ! Cette rythmique ! Et la voix qui parachève le tout…

Cette performance hors du commun, mêlée à la superstition qui imprègne la communauté afro-américaine des années 1920 pose la première brique de la légende.

Comment ? Comment un bruyant incapable a-t-il pu devenir en si peu de temps un guitariste exceptionnel ?


A l’instar de tous les autres mythes, celui de Robert Johnson est un mythe à plusieurs têtes. Les versions s’accumulent, se nourrissent des on-dit, s’entremêlent et se contredisent. Robert Jonhson lui-même est le premier instigateur de sa légende : autour de lui, il raconte une histoire, une histoire cryptique qui pourrait sonner ainsi si l’on voulait s’amuser à donner la parole au bluesman lui-même : "Par un soir de vagabondage, je marchais la guitare en main sur les sentiers de l’Arkansas. L’épuisement me gagnait, j’avais mal aux pieds, mes paupières étaient lourdes. Arrivé à un croisement entre deux chemins, je me suis arrêté pour prendre quelques minutes de repos. Soudain, Il y a eu comme une apparition. Quelque chose, une ombre gigantesque, d’un noir d’ébène, a surgi derrière moi. J’ai su immédiatement de qui il s’agissait. Satan m’a adressé un sourire, a pris ma guitare, l’a accordé, et me l’a rendue. Sans qu’il ait à prononcer un seul mot, j’ai compris que si je saisissais cette guitare, un pacte serait conclu. Oui, je pouvais grâce à lui devenir le plus grand guitariste que le monde n’ait jamais porté, à condition de lui céder mon âme. J’ai pas hésité longtemps. J’ai saisi ma guitare. J’ai commencé à jouer. J’ai joué mieux que je n’avais jamais joué de toute ma vie. Il s’est volatilisé. Je me suis remis en marche. Le pacte était conclu."


Par la suite, Robert Johnson accède à la notoriété. Les foules l’acclament et le réclament. Pour le plus grand bonheur de nos oreilles, il parvient à faire enregistrer plusieurs disques. Toute sa production musicale, de Crossroads à Me and the Devil est émaillée de références au diable, ce qui étaye le mythe. Les circonstances troubles de sa mort, la mort d’un artiste qui devient le premier du club des 27, alimentent la crédibilité d’un pacte avec le diable, venu cueillir son protégé dans la fleur de l’âge. 3 photos, 29 morceaux, quelques dates et témoignages : voilà les seules bribes ayant survécu aux outrages du temps pour constituer le puzzle parcellaire de Robert Johnson. Certes, certains ont bien avancer des explications tout à fait rationnelles pour expliquer le talent subit du bluesman, mais les mythes sont tenaces. Aujourd’hui encore, la culture populaire cultive précieusement cette légende, celle du bluesman qui a sacrifié son âme pour exceller dans son art.


Que l’on soit cartésien, sceptique ou mystique, la légende Robert Johnson touche à des questions qui affectent tous les passionnés de musique :

A quelles extrémités peut-on consentir pour son art ? Serait-on prêt à renoncer au salut pour se dévouer à la musique ?


Le mythe Robert Johnson est peut-être l’exemple le plus criant de la puissance dévorante d’une passion : mais après tout, damner son âme, est-ce si cher payé quand l’on peut jouer de la musique ?

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